Espingo, le lac sous la glace
J’étais motivé. Très motivé. J’avais beau savoir qu’en tout, 2km de dénivelé et 12km de marche m’attendaient, j’avais vraiment envie de voir le lac d’Oô et le lac d’Espingo. Le temps était magnifique et la lumière excellente.
Je savais qu’embarquer mon appareil photo en même temps que trois litres d’eau serait compliqué et je passais un moment à essayer d’optimiser mon sac, sachant que la montée comme la descente seraient difficiles et que garder mon matériel en bandoulière serait dangereux (pour au final n’utiliser l’appareil photo qu’au lac d’Espingo et essentiellement utiliser le téléphone, d’ailleurs, saurez-vous faire la différence ?…).
Je partais donc encore couvert par les ombres projetées par la montagne pour une première partie de chemin qui s’annonçait relativement facile, la piste étant large et relativement peu inclinée. Je passais à côté de quelques vaches avec une certaine appréhension gardant en mémoire une rencontre il y a une grosse vingtaine d’années où je m’étais fait poursuivre sans raison par ce genre d’animal.
Petit à petit, je commençais à m’élever au dessus de la vallée, découvrant un paysage verdoyant et grandiose avec les teintes vives du printemps. J’avais une fois de plus envie de m’arrêter au moindre tournant, à la moindre trouée pour admirer le paysage. Et prendre des dizaines de photos, évidemment.
Au détour d’un chemin, je fis une découverte qui aurait du m’inquiéter si j’étais mieux renseigné et plus prudent, mais à ce moment là, je me réjouissait surtout de découvrir de la neige en bordure de chemin. Je me précipitais alors pour essayer de faire une boule, constatant rapidement que c’était plus de la glace, impossible à détacher.
Au bout d’un moment, j’arrivais au barrage du lac d’Oô découvrant un spectacle saisissant : retenue par les glaces de l’hiver, l’eau n’alimentait pas encore complètement le lac et celui-ci se retirait bien au delà de la base du barrage, révélant un paysage chaotique et lunaire.
Le soleil m’avait rattrapé et j’évoluais maintenant sous la chaleur. J’en profitais pour boire. J’allais attaquer la partie plus difficile, mais je savais que l’effort en valait la peine.
Grâce à un chemin plus raide et escarpé, je montais rapidement jusqu’à dominer le lac d’où je venais, franchissant cascades et sentiers déchirés. Je croisais alors un couple de randonneurs ayant rebroussé chemin à cause d’une coulée de neige. Après avoir un peu discuté de nos voyages respectifs, nous nous séparions. J’étais curieux de voir quel était cet obstacle.
Le chemin était coupé net par un névé, une coulée de glace qui disparaîtrait dès l’été. Celui-ci surplombait une cascade et je pouvais apercevoir les nombreuses traces de pas de personnes l’ayant franchi avant moi. Il y avait un trou d’une cinquantaine de centimètres au milieu, révélant l’écoulement violent de la cascade et je l’enjambais sans difficultés après quelques mètres sur la glace. J’étais complètement inconscient et n’avait à cet instant pour moi que le courage apporté par l’ignorance.
Je poursuivais le chemin pour découvrir que le reste du chemin menant au col était complètement enseveli sous la glace. Il restait quelques centaines de mètres et je ne voulais pas rebrousser chemin d’autant que la glace semblait solide.
Le cirque était recouvert de neige. Les lacs étaient pris dans la glace. Et cette immensité ! J’étais épuisé mais euphorique en découvrant cet endroit. Je venais de me retrouver projeté dans un paysage digne de Skyrim, mais infiniment plus beau !
Après une sieste en plein soleil, je décidais de redescendre, ne voulant pas prendre le risque de m’aventurer dans des terres gelées et sans savoir si des avalanches étaient possibles.
Si pendant un instant j’ai soupçonné les fameux orages secs, j’ai rapidement compris ce qui se passait en voyant un énorme morceau de rocher rouler le long de la montagne quelques dizaines de mètres plus bas, sur le chemin. Je commençais à me sentir un peu imprudent.
En restant vigilant, je continuais ma descente en veillant à assurer mes appuis, certaines pierres du chemin étant séparées de plusieurs dizaines de centimètres et j’arrivais en face du névé.
Enfin, ce qui en restait. En effet, le trou était devenu béant et faisait maintenant dans les deux mètres de largeur, révélant non seulement encore plus la cascade, mais aussi le vide, de plusieurs dizaines de mètre là où celle-ci se jetait. Je me résignais à passer au dessus du trou, hors du chemin, je ne voyais pas comment faire autrement. Je m’engageais alors prudemment sur la glace, espérant ne pas glisser, une chute signifiant presqu’à coup sûr une chute dans la cascade et le vide.
Immédiatement, je m’allongeais et plantais mes doigts dans la glace pour stopper ma chute, m’arrêtant un gros mètre avant le trou. J’étais sur le dos, immobile. Au moindre mouvement, je me sentais glisser. J’aurais été incapable de remonter du trou et aurait probablement roulé dans la cascade jusqu’au vide.
Mon premier réflexe a été d’essayer de me séparer de mon sac à dos, pour réduire mon poids. Il avait beau contenir clés, appareil photo et papiers, j’ai cherché instinctivement à m’en débarrasser. Sans succès, manquant de me déboîter l’épaule et glissant un peu plus par la même occasion.
Je décidais de glisser mon corps en me servant des petits trous où je pouvais glisser mes doigts dans la glace et centimètre après centimètre, j’arrivais à me déplacer de l’autre côté. Mes mains étaient rouges et gonflées, mes bras mordus par le froid, mais j’étais de l’autre côté.
Je continuais le reste de la descente sans autre soucis que de la pensée d’avoir frôlé la mort, une expérience que je n’avais jamais vécu et qui m’accompagna le reste du chemin. Et qui m’accompagnera le reste de ma vie.
J’ai été capable de faire un effort physique que je n’imaginais pas possible, j’ai agis sans réfléchir et pour la première fois de ma vie, je pense que j’ai pris conscience que j’avais un corps, qu’il fallait que j’en fasse quelque chose.
Cette randonnée à profondément changé certaines choses en moi, sur mon rapport à la vie, aux autres. Je sais que je veux vivre, je sais que j’aime mes proches et que je ne veux pas les laisser seuls. Vous qui lisez ces lignes, c’est en partie grâce à vous que j’ai luté. Merci.
Arrivé à ma voiture, je m’écroulais. J’avais. l’impression que le moindre mouvement supplémentaire entraînerait une effroyable crampe. Demain, je ferais une randonnée plus calme : le sentier de l’impératrice !